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ega_20-04-2018

1 800 amendements pour la loi sur les relations commerciales

Législation Alors que l’examen du projet de loi EGAlim continue, les députés de la commission des affaires économiques ont d’ores et déjà adopté une série d’amendements visant notamment à clarifier l’élaboration d’indicateurs de coût de production et visant à renforcer le rôle de la médiation.

L’examen, par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, des quelque 1 800 amendements déposés pour le projet de loi EGAlim a commencé le mardi 17 avril. Pour la première partie entièrement dédiée à améliorer les relations commerciales entre les différents maillons de la filière, un front commun s’est dessiné entre les députés de tous bords politiques. En effet, de nombreux amendements ont fait consensus, tout particulièrement autour de la prise en compte des coûts des producteurs dans la formation des prix et dans la nécessité de faire évoluer le secteur de la distribution.

Indicateurs : les députés veulent clarifier leur élaboration et la diffusion par les interprofessions
Cœur du projet de loi, les conclusions des ateliers des EGAlim prévoyaient la prise en compte des coûts de production dans le calcul des prix par le biais d’indicateurs formulés par les organisations interprofessionnelles.
Les députés ont adopté un amendement qui prévoit que ces indicateurs soient « rendus publics ». Pour Stéphane Travert, cela répond au « souhait de la profession » et permet de « clarifier la portée des indicateurs ». Certains députés souhaitaient muscler la copie en demandant que ces indicateurs aient « valeur d’indicateurs publics de référence ».
Cependant, les députés ont rejeté, après avis défavorable du rapporteur et du gouvernement, les propositions d’amendements de députés LR qui souhaitaient que les contrats fassent obligatoirement référence à des indices publics. Le texte prévoit aujourd’hui que les parties peuvent utiliser « tous indicateurs disponibles ». Les députés LR souhaitaient que « l’État soit un acteur garant, qu’il s’engage ». Dans son argumentaire, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau a invoqué la liberté contractuelle pour refuser l’amendement. Ces amendements LR avaient reçu le soutien de députés centristes et de la France insoumise
Concernant le rôle des interprofessions, des amendements souhaitant rendre obligatoire leur mission de « définition des indicateurs auxquels peuvent se référencer les contrats », portés par des députés de tous bords (Les Républicains, communistes et LaRem), ont été rejetés. En effet, comme le souligne le rapporteur Jean-Baptiste Moreau, « l’idée est tentante mais nous sommes contraints par le règlement OCM » qui ne permet pas de rendre obligatoire une mission des interprofessions.

Indicateurs : le rôle des interprofessions reste privilégié
En parallèle des missions des interprofessions, le rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges a également suscité des débats quant à son implication dans « l’élaboration et la diffusion des indicateurs que les parties pourront prendre en compte dans les contrats de mise en marché des produits agricoles ». À cet égard, le gouvernement souhaite « responsabiliser les filières ». En effet, « ce sont les interprofessions qui sont responsables des engagements qu’elles ont pris dans le cadre des plans de filière », indique Stéphane Travert.
Se joignant à cet avis, les députés ont rejeté une série d’amendements proposant que les indicateurs, figurant dans les contrats et qui ne seraient pas rendus publics, soient au préalable validés par l’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM). Le rapporteur a invoqué la liberté des co-contractants. Le rapporteur s’est lui-même vu rejeter un amendement qui visait à obliger les co-contractants à utiliser les indicateurs produits par les interprofessions ; le gouvernement a invoqué un avis du Conseil d’État lors de l’audit du texte.
Toutefois, un amendement, porté par le rapporteur Jean-Baptiste Moreau, prévoyant la possibilité pour l’OFPM de se substituer aux organisations interprofessionnelles a été adopté par les députés de la commission des affaires économiques. Ainsi, si les interprofessions ne « font pas usage de leur faculté » de proposer des indicateurs publics, l’OFPM pourra reprendre ce rôle et ainsi « élaborer et diffuser des indicateurs que les parties pourront prendre en compte dans les contrats de mise en marché des produits agricoles ». Des amendements prévoyant que l’OFPM opère ces missions en parallèle des interprofessions ont été retirés ou rejetés.

Répartition de la valeur
Tout comme les indicateurs, les clauses de partage de la valeur adossées aux accords interprofessionnels ont été insérées dans le texte mais sans caractère obligatoire. Ainsi, les députés ont adopté un amendement du rapporteur Jean-Baptiste Moreau visant à l’application du règlement européen Omnibus. Ce texte prévoit qu’à l’exception du secteur sucre, qui bénéficie déjà de dérogations, « les agriculteurs, y compris les associations d’agriculteurs, et leurs premiers acheteurs peuvent convenir de clauses de répartition de la valeur portant notamment sur les gains et les pertes enregistrés sur le marché, afin de déterminer comment doit être répartie entre eux toute évolution due des prix ». Par ailleurs, le texte étend les missions des interprofessions à l’établissement de « clauses types de répartition de la valeur ».
Dans le même sens, les députés ont adopté un amendement qui précise que les contrats de revente de produits agricoles (dits en cascade) « prennent en compte » les indicateurs utilisés dans le contrat avec le producteur, et n’y fassent pas seulement « référence », comme cela est inscrit jusqu’ici dans le texte. Un tel changement de vocabulaire avait déjà été introduit dans le texte pour les contrats entre producteurs et leurs acheteurs. La nouvelle formulation est considérée comme la plus « autoritaire » par les députés. Interrogé en février par Agra Presse, le médiateur des relations commerciales reconnaissait qu’il n’y avait pas consensus sur ce sujet. La juriste Catherine Del Cont, enseignante-chercheure à l’université de Nantes, estime par exemple que cette nouvelle formulation est plus floue, au contraire.

Encadrement des promotions 
Une autre promesse du président de la République était l’encadrement des promotions. Cependant, les députés ont rejeté les amendements ambitionnant de chiffrer l’encadrement des promotions et d’y inclure spécifiquement les produits vendus sous marques de distributeur. Les chiffres repris sont ceux des conclusions des États généraux, à savoir 34 % en valeur et 25 % en volume. Toutefois, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Delphine Gény-Stephann, a défendu « l’attachement du gouvernement aux conclusions » des ateliers mais, l’écriture des ordonnances étant très technique, elle a émis un avis défavorable pour ne pas y ajouter trop de contraintes. Avis qui a été suivi par les députés. De plus, la secrétaire d’État a confirmé que les promotions des produits vendus sous marques de distributeur seront bien intégrées dans l’ordonnance et feront également l’objet d’un encadrement.
Concernant la revente à perte, les députés ne veulent pas sanctionner l’achat au-dessous des coûts de production. En effet, un amendement, proposé par la France insoumise, visant à sanctionner « le fait d’acheter un produit au-dessous de son coût de production » a été rejeté par la commission des affaires économiques. Le rapporteur a émis un avis défavorable estimant que la vente à perte peut être nécessaire pour dégager les excédents, en prenant l’exemple des filières fruits et légumes. Le ministre de l’Agriculture a partagé « sur le fond l’idée de tirer un revenu de son travail » mais a dénoncé l’objectif de mise en place de prix plancher qui ne serait pas permis par le droit communautaire. De plus, Stéphane Travert met en garde sur le fait que les prix plancher puissent devenir des « prix plafond ».

Sanctions : un sujet à retravailler
L’idée de la création d’une nouvelle juridiction, qui a fait l’objet de plusieurs amendements à plusieurs étapes de l’examen, a systématiquement été retoquée par le rapporteur et le gouvernement qui ne souhaitent pas voir alourdir les procédures. Ils souhaitaient plutôt renforcer le rôle du médiateur des relations commerciales.
C’est le sens de la proposition du rapporteur qui vise en laissant la possibilité au médiateur, « à sa seule initiative », de recourir au « name and shame », c’est-à-dire de rendre ses conclusions publiques au terme d’une médiation, a été adopté par les députés de la commission des affaires économiques le 18 avril. Cet amendement a été maintenu au vote par le rapporteur, qui le considère « comme un engagement fort », malgré l’avis défavorable du ministre de l’Agriculture Stéphane Travert qui mettait notamment en avant le risque que les opérateurs se détournent de la médiation.
Au sujet des sanctions financières encourues par les producteurs et leurs organisations, le gouvernement a refusé sur le fond, suivi par le vote des députés, un amendement des députés LR qui proposait que les producteurs et organisations de producteurs soient exonérés des sanctions. Stéphane Travert a rappelé qu’un délai de mise en conformité protégeait les agriculteurs. Après de vifs débats, la France insoumise a proposé un amendement de repli visant à ce qu’en cas de procédure judiciaire « la charge de la preuve repose sur l’acheteur ». Le rapporteur était favorable sur le principe, mais l’amendement a été retiré à la demande du ministre Stéphane Travert. Le gouvernement « creusera cette question de la charge de la preuve par l’acheteur » d’un point de vue juridique d’ici la séance publique.
De plus, le plafond des sanctions est fixé à 75 000 euros dans le texte. Un bon nombre de députés ont retiré leurs amendements qui visaient à modifier les sanctions prévues en cas de non-respect des dispositions liées à la contractualisation. En effet, le ministre de l’Agriculture avait demandé leur retrait en vue de la séance publique, approuvant les idées exprimées de moduler la sanction en fonction de la taille des entreprises. Le rapporteur Jean-Baptiste Moreau proposait notamment de fixer ce plafond à 2 % du chiffre d’affaires hors taxes, afin de rendre leur montant significatif pour les grandes entreprises.
Enfin, les députés ont adopté l’amendement porté par le rapporteur qui vise à sortir les produits agricoles et alimentaires des négociations commerciales. Cet amendement a reçu un avis de sagesse du gouvernement qui souhaite étudier la question. En effet, quel pourrait alors être le nouveau cadre de ces négociations ?

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L'amendement surprise

du rapporteur Moreau Le rapporteur du projet de loi sur « l’équilibre des relations commerciales » Jean-Baptiste Moreau a créé la surprise, le 19 avril, en faisant adopter – très largement – par la commission des affaires économiques, un amendement visant à faire sortir les produits agricoles et alimentaires des négociations commerciales annuelles. Un texte qui « fera du bruit », a-t-il promis. En l’état, cet amendement laisse planer beaucoup de zones d’ombre.

Il est 23 heures, le 18 avril à l’Assemblée nationale. Le député Jean-Baptiste Moreau affiche un grand sourire qui ne le quittera plus de la soirée. Face à lui, les députés de la commission des affaires économiques viennent d’adopter, de tous bords, son amendement surprise au projet de loi « sur l’équilibre des relations commerciales ». Son texte « vise à sortir les produits agricoles et agroalimentaires de la convention unique, c’est-à-dire des négociations commerciales annuelles ». Un texte qui « fera du bruit », promet-il en séance.
Cette mesure est une surprise car elle n’avait pas été discutée lors des États généraux de l’alimentation et n’émanerait pas du monde agricole. Cette idée est la sienne, « uniquement la sienne », indique-t-il à Agra Presse. « Il a pris tout le monde à contre-pied », commente le délégué général de Coop de France Pascal Viné. Pour preuve de la surprise, l’Ania (entreprises de l’agroalimentaire) n’a pas encore souhaité réagir à l’adoption de ce texte, qui le concerne pourtant au premier chef.
En cas de rejet de son texte, le rapporteur avait proposé un amendement de repli qui limitait sa proposition aux viandes hachées et aux pâtes alimentaires. Il n’en aura pas besoin, car l’amendement a reçu un avis de sagesse du gouvernement, qui a souhaité néanmoins « étudier » le dossier. Le ministère de l’Économie indique à Agra Presse qu’il serait prêt, « le cas échéant », à déposer un texte retravaillé avec le rapporteur, en vue de la séance publique qui débutera le 22 mai. « Nous sommes un peu perplexes face à ce sujet nouveau et disruptif », a réagi, en commission, Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie.

« Supprimer une disposition pivot »
La réaction de Bercy résume bien l’accueil du texte dans le secteur agricole : surpris, intéressé mais circonspect. À l’instar de Delphine Gény-Stephann qui a rappelé en séance qu’il s’agit de « supprimer une disposition pivot du cadre des négociations commerciales ». Combinée avec les clauses de renégociation, cette disposition offre une « stabilité » aux relations commerciales, a-t-elle rappelé.
Pour comprendre en quoi consiste précisément la proposition du député de la Creuse, il faut rappeler que les relations commerciales entre l’industrie agroalimentaire et les distributeurs sont régies par deux couches réglementaires, explique-t-on à Coop de France : la règle de base est celle de la convention unique (article 441-7 du code du Commerce) qui concerne la majorité des produits vendus en grande distribution. C’est de cette réglementation que Jean-Baptiste Moreau veut faire sortir l’ensemble des produits agricoles et alimentaires. La deuxième couche est un article « dérogatoire » au premier article (art. 441.2-1) qui concerne les produits frais (ex. fruits, œufs, miel, viande).
La convention unique (tous produits) impose une négociation annuelle (ou pluriannuelle depuis la loi Sapin 2) et offre un cadre extrêmement précis et protecteur pour la partie la plus faible. « La convention unique est le pivot, l’outil de traçabilité qui permet le contrôle et les sanctions », explique le service juridique de Coop de France. C’est ce formalisme qui permet par exemple à la DGCCRF de savoir si une ristourne a été accordée en échange d’une contrepartie réelle. Récemment, l’utilité de ce cadre a été confortée par un arrêt du 25 janvier 2017 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a confirmé des sanctions à l’encontre de groupements d’achats Leclerc (Galec).
La seconde réglementation, celles des produits frais, offre « un formalisme moins puissant, mais elle interdit tout rabais, remise ou ristourne », explique Pascal Viné.

« On entre en terre inconnue »
En l’état, le texte n’indique pas la réglementation à laquelle les produits agricoles se rattacheraient à l’avenir. C’est un gros point d’interrogation. Le texte propose seulement de sortir les produits agricoles et alimentaires de la convention unique. Selon Coop de France, la lecture du texte peut faire penser que le commerce des produits agricoles est renvoyé par défaut au Code civil. Autrement dit, très peu d’encadrements pour protéger les entreprises agroalimentaires. « Dans ce cas, ce serait très préoccupant sur la capacité des entreprises à défendre leurs intérêts », estime Pacal Viné.
Et Coop de France de résumer : « On entre en terre inconnue. L’amendement ouvre une porte qu’il faut explorer, mais tout ce qui a été fait depuis plusieurs années consiste à apporter de la traçabilité. Cette question est un problème de fond car ce formalisme a permis des condamnations ». Coop de France se demande d’ailleurs si l’intention du député ne serait pas de créer une nouvelle réglementation commerciale – tout aussi protectrice que la convention unique – mais spécifique aux produits agricoles et alimentaires.
Au-delà de ces craintes exprimées, le premier bénéfice d’une sortie de la « négociation annuelle » serait d’éviter que ne se reproduise la pénurie de beurre qui avait eu lieu dans la grande distribution en fin d’année dernière. Faute de pouvoir renégocier les prix à la hausse avant le rendez-vous de fin d’année, les laiteries avaient préféré ne pas approvisionner les grandes surfaces. Plus largement, le rapporteur souhaite en finir avec les difficultés de l’agroalimentaire à répercuter les hausses de ses matières premières. Le texte pourrait apporter de la liberté aux entreprises, convient Coop de France.

Clauses de renégociations
Dans l’esprit de la majorité, cette suppression du rendez-vous annuel irait de pair avec un renforcement des clauses de renégociations et une incitation aux contrats pluriannuels : « Nous voulons rentrer dans une relation client-fournisseur simple, avec des contrats qui doivent être de manière privilégiée pluriannuels », explique Jean-Baptiste Moreau. Sur les clauses de renégociation, le député de la majorité Grégory Besson-Moreau, très actif durant l’examen du projet de loi, annonce qu’un amendement doit être négocié entre Bercy et le ministère de l’Agriculture « qui vise à rendre automatique les révisions de prix en fonction de l’évolution des indicateurs de coûts des matières premières »
Selon le député de l’Aube, « les clauses de renégociations ne fonctionnent pas, notamment parce que les délais sont trop longs ». Un tel renforcement serait probablement de nature à rassurer Coop de France : « S’il n’y a plus de négociation annuelle, à quel moment une petite entreprise va-t-elle réussir à passer ses hausses ? Il faut une clause de renégociation très renforcée », commente le service juridique de Coop de France.
Tous les observateurs s’entendent donc sur une chose   tel qu’il a été adopté et en l’absence de textes complémentaires, l’amendement est insuffisant. « En l’état, je ne vois pas en quoi cela va apaiser les choses, s’interroge Claire Chambolle, économiste à l’Inra, spécialiste des relations entre l’agroalimentaire et la distribution. En quoi la nature du rapport de force serait modifiée parce que l’on en modifie la fréquence ? S’il s’agit par exemple d’aller vers des négociations pluriannuelles, le psychodrame dont parle Jean-Baptiste Moreau sera moins fréquent mais encore plus important ».
Contacté par Agra Presse, Jean-Baptiste Moreau promet de renforcer son texte : « Je vais retravailler le texte avec Bercy car il y a beaucoup de conséquences en cascades. Il faut recréer un cadre qui permette de sécuriser et de renégocier quand les prix des matières premières augmentent ».
Le texte qui sera déposé en séance publique attirera, à coup sûr, la curiosité de toute la filière agroalimentaire.