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Olivier Mével, consultant indépendant en stratégie des entreprises agroalimentaires et enseignant-chercheur à l'Université de Bretagne Occidentale. « La loi de modernisation de l'économie est la loi du plus fort »

Publié le: 12-10-2015

Filière Olivier Mével a réalisé sa thèse de doctorat au sein d'une centrale d'achat du groupe Leclerc, la Scarmor à Landerneau. Il revient sur la crise de l'élevage et le développement du rapport de force entre distributeurs et producteurs.

 

Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans l'élevage en France ?
Dans cet environnement, pour moi, tous les maillons de la filière portent une responsabilité dans la crise que vit l'élevage actuellement. Le consommateur par exemple, qui pleure l'emploi perdu, le chômage, mais qui continue d'acheter du premier prix ! Or, ce premier prix n'offre pas de valeur ajoutée à l'éleveur. Il est aussi chèrement payé en termes d'emploi ou d'environnement… Les grandes et moyennes surfaces (GMS) portent aussi une lourde responsabilité dans la situation dégradée de la ferme France ! Les distributeurs bénéficient depuis 50 ans des matières premières agricoles et des produits transformés issus de l'élevage dans les volumes et les prix qu'ils souhaitent. Ce n'est plus acceptable ! À mon sens, face à la kyrielle de facteurs qui s'est abattue sur l'élevage français, il y a trois problèmes à traiter d'urgence : la transposition des normes européennes et le zèle avec lequel l'administration française sur-imprime ces normes aujourd'hui, la question des travailleurs détachés – un vrai scandale ! – qui impacte directement la productivité des filières alimentaires françaises – et l'harmonisation sociale et fiscale au sein des pays européens. Je suis d'ailleurs étonné que le gouvernement ne s'y attaque pas vraiment !

Entre éleveurs, industriels et GMS, chacun se renvoie la balle sur un manque de compétitivité, qu'en pensez-vous ?
Quand j'entends les GMS dénoncer le manque de compétitivité des éleveurs, je me demande vraiment si elles comprennent que les éleveurs vendent du high-tech au prix du low-cost ! En effet, les prix agricoles sont désormais mondiaux, mais les normes qui s'appliquent aux élevages et aux industriels sont européennes et les coûts sociaux sont français ! C'est l'essence même du problème. La mondialisation, il n'y a pas grand-chose à y faire. On ne peut pas compter sur l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture pour régler le problème de l'extrême volatilité des prix à l'achat de matières premières. Que peuvent les éleveurs face à la problématique des travailleurs détachés ? Rien. Les marges de manœuvre des éleveurs sont donc limitées. Ce qui va durcir les relations, ce sont nos problèmes franco-français. Ainsi, près de 57% de notre produit intérieur brut (PIB) est prélevé par l'Etat. C'est trop. Il y a un vrai problème de fiscalité en France.

Que se passe-t-il finalement dans la filière porcine ?
La filière porcine vit un paradoxe. Elle vit un retard d'investissement alors qu'on lui a demandé des efforts incroyables pour la mise aux normes. Or, la distribution ne veut pas payer ce bien-être supplémentaire pour les truies en augmentant ces tarifs. Dès lors, cette mise aux normes est restée à la charge complète des éleveurs. En même temps, les GMS ont contribué à faire de la viande de porc une commodité, un produit d'appel pas cher. À l'inverse, le poulet a été traité en produit de grande consommation, avec un marketing relativement bien développé et une forte segmentation de marché. Les GMS n'apportent clairement pas autant de soucis à gérer le détail dans le linéaire porc (libre service ou boucherie) que pour celui de la volaille. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2004 et 2014, la consommation des Français a progressé de 4,1kg en volaille mais a baissé de 4,5kg en porc et de 1kg en bovin, selon Agreste et France Agrimer.

Et dans la viande bovine ?
Nous importons déjà 20% de notre consommation de viande bovine. C'est un paradoxe dans un pays comme le nôtre où nous revendiquons la richesse et la diversité de nos races de bovins allaitants. En viande bovine, le système de classement EUROPA a amené tout le monde dans le mur. Seulement, il ne change toujours pas. De plus, les nouveaux usages des consommateurs n'ont pas été retravaillés. En achetant de la viande bovine, il y a un coefficient d'incertitude sur sa qualité (goût, tendreté…) insupportable pour le consommateur, d'où d'ailleurs le développement du steak haché (rapide, facile à préparer et facile à manger). Les bovins engraissés aux céréales donnent des animaux trop gras, qui ne correspondent pas à la demande. Ils sont surtout trop chers à produire, vu la spéculation permanente sur les cours des céréales. Pour que les éleveurs s'y retrouvent aujourd'hui, il faut de nouvelles races de vaches, plus petites et donnant une viande plus grasse, plus persillée donc plus goûteuse, sans dépasser les 24 mois d'engraissement. Il faut refaire des croisements : Normande et Bazadaise par exemple. Or, peu d'éleveurs vont s'y risquer car même si ces vaches répondent effectivement à la demande du consommateur, le système de cotation EUROPA valorisera toujours mieux les animaux lourds et maigres. Au final, il faut tenter de revenir à l'autosuffisance nationale et remettre les vaches à brouter ! En même temps, on redonnera le sourire à la consommatrice qui n'aura plus de doute sur la qualité de la viande qu'elle achètera pour sa famille. Tout le monde sera gagnant. C'est la seule façon d'enrayer la baisse de la consommation de viande bovine : rassurer et monter en gamme.

Quel est votre regard sur le comportement de la distribution ?
Deux enseignes indépendantes, Leclerc et Intermarché, ont souhaité s'intégrer verticalement au plus près de la formation des prix dans les filières alimentaires. Que le plus puissant vienne s'intégrer aussi près de la formation du prix agricole, cela va à l'encontre d'un système anticoncurrentiel ! C'est de la distorsion de concurrence verticale envers les autres distributeurs et de la distorsion de concurrence horizontale envers les autres abatteurs (Cooperl, Gad) qui ne peuvent suivre le rythme. Ils ont le bouton pour commander le prix. Ainsi, ils dégagent un avantage compétitif indéniable par rapport à leur concurrent, surtout dans un contexte de guerre des prix exacerbée. Ils peuvent se permettre de bastonner de la promotion tout le temps dans une logique de flux tirés par leurs magasins quand les autres abatteurs travaillent en flux poussés. Les GMS doivent s'inscrire dans une autre logique. Elles doivent travailler sur leur coefficient de sympathie. La solution, c'est celle d'une forme de solidarité avec le monde agricole. Elles doivent aussi utiliser l'arme du référencement pour se différencier et démontrer cette solidarité avec le monde de l'élevage, pour une fois ! Le jambon Herta non VPF (1), dehors !

Comment a-t-on pu arriver à une telle prise de pouvoir de la part de la distribution ?
La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 est en fait la loi du plus fort. Elle portait en elle-même le germe de la déflation. Le retour à la négociabilité des prix a été accordé aux GMS sans aucune contrepartie notamment en termes de concurrence et de constestabilité du marché par l'entrée d'enseignes étrangères…Mais cela vient de plus loin encore, de la loi Galland (1996) qui limite le pouvoir de la distribution tout en contribuant à la naissance des marges arrière. Finalement, Jacques Chirac sous couvert de défendre le monde agricole, est responsable de pas mal de choses. Deux lois catastrophiques pour les industriels et les producteurs ont ainsi ponctué son premier mandat (lois Galland et Raffarin de 1996). Les marges arrière de 1996 à 2008 sont venues artificiellement gonfler les prix, jusqu'à 40%. Elles ont aussi permis le développement des marques de distributeurs. Avec la LME, Christine Lagarde a permis à la distribution de renégocier les prix mais elle n'a pas donné aux industriels d'armes pour se défendre. Les distributeurs se sont précipités dans cette faille, déflation à la clef. Il fallait absolument abroger la loi Raffarin de 1996. Par ailleurs, les GMS se sont développées dans une logique de bastion : Leclerc en Bretagne, Système U dans le Sud-Ouest. Auchan a ainsi voulu entrer en Bretagne, mais il n'a jamais pu ! Leclerc tient les quatre Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Le commerce à une dimension spatiale que l'on est bien loin de réaliser et les GMS se font des petits prix – et des marges ! – entre amis.

(1) : VPF : Viande de porc français